Seulement dans des livres, comme vous dites. Seulement! Les livres ne peuvent jamais être seulement ; ils peuvent seulement être toujours.
Jeff Noon

3 mars 2013

Les moutons lorsqu'ils sont électriques, se font toujours remarquer.





  Dans une Chine encore divisée en trois royaumes, où la magie des dieux et des démons prédomine, Xiao Chen, le fils du potier, est frappé par une malédiction. Pour aider son père obsédé à l’idée de modeler la poterie parfaite, il viole le domaine du dieu du Hengsan et se retrouve affublé d’une tête de tigre. Rejeté par son village, il sera recueilli par une troupe de comédiens où il croisera Brume, la fille-fée. Devenu immortel par la grâce d’un coeur de porcelaine, il traversera plus de douze siècles et rencontrera Li Mei, la tisseuse tandis que Brume patiente, sans rien oublier...


  Vous en avez marre de la fantasy répétitive genre «j’ai une grosse épée, on a tué mes parents/mon frère/ma soeur/ma femme/mon enfant/mon hamster/un quelconque membre de mon entourage proche et je compte bien me venger tout en emballant la princesse, en apprenant la magie, en domptant une quelconque bête étrange, tout cela en sauvant le monde bien évidemment? (Avec tout ça on s’étonne qu’il n’y ait pas plus de suicide chez les super-héros!) 


  Et bien voici un texte sur lequel vous pouvez jeter vos petits yeux affamés. Car dans le paysage actuel de la littérature dite de fantasy, Porcelaine, légende du tigre et de la tisseuse sort nettement du lot et ça fait plaisir.


  D’abord, Porcelaine est le genre de roman qui vous prend tout de suite dans ses filets. Contrairement à nombre de romans de fantasy qui passent une bonne partie de leur introduction à nous expliquer, parfois trèèèès longuement, un monde et son fonctionnement, tellement longuement qu’on a l’impression de lire un mémoire de fin d’année de géopolitique, Porcelaine, lui, démarre directement et vous retient prisonnier jusqu’à la dernière ligne qu’on voit arriver (toujours?) trop vite.


  Avec un style limpide et relativement épurée, Estelle Faye mêle habilement le roman d’aventure au conte asiatique et restitue avec perfection le milieu fascinant du théâtre et du cirque qui s’entremêlent. Elle nous offre ainsi un véritable voyage au sein d’une troupe itinérante de comédiens et autres saltimbanques (voire de quelques freaks), dans une Chine où le quotidien côtoie magie et mythologie, démons et dieux. Les personnages sont entraînés d’aventures en aventures (comme dirait l’autre), sans temps morts avec tout ce dont vous aurez besoin pour vous évader : des combats à l’épée, de beaux paysages, des costumes et des maquillages, des pièges à éviter, de l’amour mais aussi de l’amitié mis à l’épreuve du temps qui passe, de l’oubli, de la vengeance, de la loyauté. Que des thèmes déjà connus et maintes fois utilisés, certes, mais voilà : Estelle Faye nous prouve qu’on peut utiliser les mêmes ingrédients que tout le monde et pourtant en sortir quelque chose de différent et même d'excellent.


  Tout comme Le Prophète et le Vizir, nul besoin d’être amateur(-trice) de fantasy pour se laisser tenter par Porcelaine et tout comme Le Prophète et le Vizir, Porcelaine est ce que j’aime appeler un livre «à voyager», non pas parce que vous pouvez aisément le glisser dans votre valise (quoique si vous vouliez bien faire un effort aussi!) mais parce que où que vous soyez, ce sont eux qui vous emmènent ailleurs.


  Son seul défaut, si on devait en trouver un (et encore est-ce bien un défaut?) c’est une fin que j’aurais aimé un tout petit peu plus sombre. Le personnage de Xiao Chen possède une part sombre qui aurait mérité d’être approfondie.


  En plus d’être passionnant à lire, Porcelaine est également un objet beau à voir et agréable à manipuler. Tout cela pour 19,90 euros. Certains éditeurs feraient bien de prendre des leçons de rapport qualité/quantité/prix. 


  Pour les accros du numérique, je tiens à signaler que le texte est disponible au format epub sur le site de l’éditeur pour la modique somme de 6 euros. Si je le signale, c’est en raison du prix que je trouve pour une fois parfaitement raisonnable et justifié pour du numérique. Et si un éditeur comme Les Moutons  Electriques y parvient, certains «gros» éditeurs feraient bien de prendre une leçon, une double leçon donc.


  Et pendant ce temps là, à Veracruz... tout le monde lit Porcelaine et garde un oeil averti sur Estelle Faye et son devenir.


CITRIQ

1 commentaire:

  1. Ahahah, rien que le premier paragraphe m'a convaincue ! Merci pour cette chronique entraînante !

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