Seulement dans des livres, comme vous dites. Seulement! Les livres ne peuvent jamais être seulement ; ils peuvent seulement être toujours.
Jeff Noon

29 mai 2014

SupraNoon

      

   Elliot, jeune bassiste n’ayant pas pris musiques de chambre en option, se voit proposer de rejoindre un groupe quelque peu underground. Si au début, seule la jolie chanteuse lui semble être une bonne raison d’accepter, leur possession en exclusivité d’une nouvelle technologie permettant de transformer la musique sous forme liquide finit de le convaincre. Commence alors une cohabitation avec la DJ accro aux drogues, le batteur super cool, trop cool pour être bien dans sa peau, et petit ami en titre de la toujours aussi jolie chanteuse. Leurs recherches sur le potentiel de la musique liquide, petite sphère qui offre tout un éventail de possibilités, les amèneront bientôt là où inexorablement, ils devaient aller.


« si la musique était une drogue elle vous emporterait où? »
      

   Comme chacun sait, Jeff Noon fait partie de ces petits génies de la littérature, genre touche à tout mais surtout genre une idée à la minute (oui on les détesterait presque si on ne les aimait pas autant). Ainsi, chaque fois que je vois un nouveau Noon se profiler à l’horizon (en français bien sûr parce que mon niveau d’anglais ne me permettrait pas de comprendre toutes les subtilités de l’écriture de Noon VO; d’ailleurs c’est encore une fois l’occasion de saluer le travail de traduction de Marie Surgers, on ne le fera jamais assez)… chaque fois donc que je vois arriver un nouveau Noon, je trépigne d’impatience à l’idée d’être de nouveau bluffée par les trouvailles de ce monsieur, par ses histoires et par son écriture.
    

  Avec intrabasses, l’idée est là, évidemment, et pour le reste… et bien pour une fois, c’est relativement soft pour du Noon. On en viendrait presque à se demander mais où sont passés les trips hallucinatoires, spécialités du chef? Bon je vous rassure il y en a un petit peu quand même. Faut dire qu’avec une idée pareil, la musique sous forme liquide, ça aurait été con de passer totalement à côté. Et oui, forcément, la musique en liquide ça fait penser à des choses : qu’est-ce qui se passe si on remue la sphère? Et si on l’inhale sous forme de vapeur? Et oui, si on la boit? Et si … on se l’injecte?
    

   Toutefois, j’ai regretté que Noon sous-exploite son idée de départ car il nous avait donné à voir sa capacité à créer des mondes entiers (des mondes à tiroirs même, avec des histoires à tiroirs aussi!) à partir d’une petite idée. Et cette fois-ci, il s’arrête au premier stade de son développement ce qui je le reconnais est déjà pas mal (remonter aux sources de la création d’un morceaux en s’injectant sa forme liquide). C’est sans doute moi qui devient exigeante.
  

   intrabasses reste un bon roman assez court et assez calme (enfin pour du Noon j’entends)  autour de nos dépendances à nos passions, en l’occurrence à la musique. Son ambiance et ses références à la culture rock, punk et autres délicats fonds sonores, sont assez importants et dominent vraiment l’ambiance générale du roman, suffisamment  pour, non pas perdre mais maintenir une certaine distance avec un lecteur qui ne serait pas passionné, ou au moins très intéressé, plus que cela par ce milieu (comme moi). D'ailleurs, pour les esprits aventureux aux facultés auditives à toutes épreuves, le livre est accompagné de sa bande son à laquelle Jeff Noon a participé. Toutefois, il serait réducteur de dire que intrabasses n’est qu’un roman sur la musique et son effet adoucissant sur les moeurs. C’est aussi un roman sur l’hérédité et ce constant besoin que l’on a de savoir d’où l’on vient pour comprendre où l’on va.
 

   Mon appréciation de intrabasses peut paraître quelque peu mitigée. Que nenni. Certes je l’ai sans aucun doute moins adoré que les autres, sur mon échelle personnelle de Noon (il y a les «Ouah-pfff-….c’est…-faut-inventer-de-nouveaux-mots-parce-que-j’en-ai-plus », il y a les « Noon-il-est-pas-comme-nous-il-vient-d’une-autre-planète-j’veux-aller-vivre-sur-cette-planète!!!! » et puis il y a les «c’est-du-bon-mangez-en »). intrabasses est dans la catégorie « c’est-du-bon-mangez-en ».


   En fait soyons clairs, Noon est le prochain stade de l’évolution. Il y est juste arrivé avant nous. Et vous pouvez commencer par intrabasses pour vous rendre compte de l’étendue de son avance.
 

   Et La Volte dans tout ça? (Vous pensiez y échapper peut-être?) Mais La Volte, ma brave dame/mon brave monsieur rayez la mention inutile, c’est un vaccin contre la connerie, suivez la prescription du docteur : achetez La Volte, le monde n’en sera que meilleur. 

CITRIQ

15 mai 2014

Et pis c'est au Chili, ça tombe bien.



   Santiago, en plus d’être une ville, est un homme qui est un flic. Il aime plutôt ça, être flic. Ce qu’il n’aime pas en revanche, c’est avoir à tuer quelqu’un. Par contre, en plus d’être flic, ce qu’aime Santiago, l’homme, c’est suivre des femmes dans les rues de Santiago, la ville, comme ça, sous prétexte qu’il les trouve bien roulées, les femmes pas les rues. Ce qu’il n’aime pas en revanche, c’est que sa petite amie, qu’il aime et c’est lui qui le dit, apprenne qu’il suit d’autres femmes, voire plus si affinités. Ce qu’il va détester encore plus que tout le reste des choses qu’il n’aime pas, c’est que dans la même journée, il va tuer un gamin des gangs et se mettre à suivre une femme dans la rue, et ça, ça va quand même vraiment le foutre dans la merde cette histoire.


   Les Rues de Santiago c’est l’équivalent d’un café noir, bien serré, sans crème et surtout sans sucre, merci. Un petit polar urbain bien noir : petit parce 150 pages presque une novella, urbain parce que quasiment toutes les scènes d’accélération du récit se passent dans la rue.


   Les Rues de Santiago, c’est aussi un personnage principal pas tout à fait sympathique, pas tout à fait détestable non plus (quoique à certains moments…), et surtout pas tout à fait aussi clair et au dessus de tout soupçon qu’il aimerait l’être et nous le faire croire. Il se prend un peu pour un dur mais paraît parfois un peu con sur les bords, j’ignore si c’est voulu par l’auteur mais ça fonctionne. On a quand même envie de savoir comment il va se dépêtrer de tout ça voire s’il va s’en dépêtrer tout court. Pour entourer ce Santiago, il y a aussi des personnages secondaires, un peu glauques, un peu fouineurs, un peu fatal(e)s, et une intrigue basée sur la tromperie. Mais surtout, Les Rues de Santiago c’est une écriture sèche, cadencée, pleine d’un humour acide et grinçant, d’une efficacité redoutable pour ce genre de texte. Ce qui nous ferait presque regretter qu’il ne soit pas plus long… ou alors nous fera attendre avec impatience que l’auteur s’attaque à quelque chose de plus dense. Avec Grande Impatience. En attendant…


« "Votre nom est Santiago Quiñones?"
 On est mal partis, en plus d’être nain, il est débile, ce qui n’est jamais bon; il est toujours préférable d’être traqué par quelqu’un de futé. L’intelligence est prévisible, la stupidité te laisse désarmé parce que tu ne sais jamais ce qu’on peut te sortir. »



   Un petit plaisir donc, à ne surtout pas se refuser pour ceux qui apprécient le genre.



CITRIQ

6 mai 2014

Don’t worry, read Tuttle.



   Vous l’avez attendu à vous en faire claquer les neurones de la patience (si si, on vous a vu errant comme une âme en peine vêtu de votre tee-shirt préféré « She will be back… too»), et bien… … AYÉ!!!! Enfin, le Lisa Tuttle nouveau est arrivé et croyez-moi ou pas (enfin c’est pas la peine de venir ici si c’est pour pas me croire!), c’est pas un goût de framboise-banane qu’il a mais bien le goût du 100% AOC Tuttle, autrement dit le goût du fantastique, le goût de l’angoisse, le goût de l’onirisme, bref! en un mot comme en cent ou même en deux : Quel Talent!


   Et c’est bien évidemment les éditions Dystopia, qui avaient déjà jadis-y-a-peu-de-temps lancé la pierre dans la marre avec Ainsi Naissent les Fantômes, qui s’y recollent avec cette fois-ci aux commandes de la traduction et de la présentation Nathalie Serval (souvenez-vous dans le premier c’était Mélanie Fazi) pour 14 nouvelles à découvrir ou re-découvrir, mais en tout cas à lire, c’est un ordre.


   Pourquoi? me demanderez-vous. Et bien, première raison : parce que, ce qui en soit constitue toujours un argument de choc.

   Deuxième raison : Lisa Tuttle, ce qui en soit est également un argument de choc, doublement plus efficace que le précédent.

   Troisième raison : je suis persuadée que quoique vous en disiez vous n’avez rien de plus intéressant à faire et cherchez bien parce que il n’y a quand même que peu de choses qui puissent se révéler plus intéressantes que lire Lisa Tuttle, là tout de suite.

  Quatrième raison : parce que rien que l’objet livre donne envie de le toucher et donc, de le lire! Merci qui? Merci Stéphane Perger! 



   Cinquième raison : parce que Lisa Tuttle élève la nouvelle au rang d’art. Chaque nouvelle possède une architecture parfaite, invisible mais bien là, discrètement et élégamment masquée par une écriture au scalpel. Rien n’est en trop. Rien ne manque. Un équilibre idéal pour encore une fois se jouer de nos peurs et de nos frustrations, celles qu’on s’impose ou qui nous sont imposées. Lisa Tuttle les met en image, leur donne littéralement vie en les personnifiant.


   Ces 14 nouvelles reflètent les thèmes chers à Lisa Tuttle déjà apparus dans Ainsi Naissent les Fantômes : la femme et donc la féminité et le féminisme, la maternité, la création, l’enfermement, la peur de la mort.


   Les Chambres Inquiètes , c’est parfois du fantastique qui n’en a pas l’air comme dans Vol pour Byzance (particulièrement stressante, on se surprend à vouloir dire à l’héroïne « mais barre-toi de là!!) ou Une Amie en Détresse ; c’est parfois drôle de manière ubuesque comme dans En Pièces Détachées ou Propriété Commune ; c’est parfois poétique et triste comme Oiseaux de Lune ou L’Autre Chambre ; mais c’est toujours terrifiant parce qu’au-delà de l’aspect fantastique, Lisa Tuttle réveille toujours une peur primaire. Car, en entendant des bruits de raclement et de grignotement dans la maison le soir quand le calme s’impose, qui peut dire que ce n’est pas à Nid d’Insectes qu’il pense et à la possibilité de se faire bouffer? Qui a envie de redevenir cette fille banale menant une vie sans intérêt dans un bled paumé sans attrait, sans ambition, sans ami, sans rien qui puisse laisser une trace disant j’étais là? Qui, en regardant son enfant, n’a pas cette crainte de le voir disparaître? Qui n’a jamais rêvé (cauchemardé plutôt) se réveiller dans un endroit inconnu parmi des gens inconnus sans savoir et sans trouver comment rentrer chez soi?


   Et voilà! Besoin d’autres raisons pour vous jeter sauvagement sur Les Chambres Inquiètes (et sur Ainsi Naissent les Fantômes si ce n’est pas déjà fait)?

   Les Chambres Inquiètes c’est beau, c’est bon mangez-en! Achetez du Lisa Tuttle sinon… … vous le regretterez.




CITRIQ