Seulement dans des livres, comme vous dites. Seulement! Les livres ne peuvent jamais être seulement ; ils peuvent seulement être toujours.
Jeff Noon

3 févr. 2014

L’alcool, non, mais Jacques Barbéri, oui!

*

Première porte :

 Si vous êtes jeune, médecin légiste et que votre frère jumeau a fait la démonstration par le tranchoir sur vos parents adoptifs que l’être humain se découpe aussi bien que le rosbif, vous pouvez dire banco à la catégorie alcoolique. Du coup, forcément, si des hallucinations surgissent, vous transportant en des lieux improbables où les animaux parlent et où les araignées veulent vous bouffer, vous pensez naturellement que alcool et hallucination sont de vieilles amies. Et bien, non! Enfin, non pas obligatoirement! Soyez tranquillisé, soyez un alcoolo serein car vous êtes Anjel, héros du Crépuscules des Chimères, et vous êtes un seigneur des portes (AHAH!) ; les hallucinations n’en sont pas, en fait, et les mecs-créatures-autres-engins-de-toutes-sortes souhaitant vous bouffer veulent eux, par contre, effectivement vous bouffer.



Deuxième porte :

 Quand vous ignorez clairement vos origines que votre mère alcoolique et dépressive mais néanmoins canon a toujours refusé de vous révéler, quand vous débarquez pour rencontrer enfin votre grand-mère dont on vous précise qu’elle vous prend pour un démon et envisage une correction définitive de votre acte de naissance, quand vous vous mettez à avoir des hallucinations mettant en scène un barman androgyne mais moustachu et des créatures lovecraftiennes, et quand pour couronner cette journée chargée, vous vous retrouvez dans un universicule avec une danseuse de la fin des temps et un mini dieu à tronche de lémurien fumant le cigare, jouant au poker et vous lâchant comme un tentacule dans le cheesecake que vous êtes un kassakaappimies ; forcément, à un moment :

 1 vous leur rappelez que jusqu’à présent vous avez été poli et qu’il faudrait voir à ne pas abuser car :

 2 vous avez une forte envie de leur en coller une, histoire de rappeler qui commande (même si ce n’est pas vous)

 3 vous vous dites que vous auriez dû noter cette marque de thé car il est beaucoup plus fort que ce qu’on vous en a dit

 4 tout ça, mais en même temps, le tout bien arrosé de Jack Daniels car vous êtes Jack, héros de Cosmos Factory et les plumes vous poussent mais je ne vous dirai pas où.


  Si tout ce que je viens de vous dire vous passe largement au dessus (ou en dessous), que la seule réponse qui vous vienne soit : « oui bien entendu mais faudra leur dire que je serai absent à la prochaine réunion », alors passez votre chemin, courez, virevoltez dans les champs fleuris et n’allez pas encombrer d’avantage un cerveau déjà visiblement bien malmené.


  Si au contraire, les mots « démons », « Lovecraft », « universicule », « kassakaappimies », et « seigneur des portes », vous titillent joyeusement la glande du bonheur, alors jetez-vous sur Cosmos Factory, nouveau roman de Jacques Barbéri, et par la même occasion, comme vous y serez, jetez vous aussi sur Le Crépuscules des Chimères, plus vieux roman de Jacques Barbéri car :

 1 c’est un diptyque! L’un complète l’autre et l’autre complète l’un, l’un dans l’autre lisez les deux.

 2 les éditions La Volte (j’ai déjà dû vous parler d’elles…non?) ont eu la bonne idée (oui! encore une bonne idée!) de rééditer Le Crépuscule des Chimères avec une couverture qui fait miroir avec Cosmos Factory, le tout signé Stéphane Perger, hiiiiiiihiiiihhiiiii, c’est trop beau!


  Le diptyque de la structure fait appel à un univers d’univers, les uns imbriqués dans les autres, reliés entre eux par des portes, avec du vide entre, vide peuplé de mouches amatrices de tranquillité genre néant ; mouches qui détestent les araignées (ouais, d’accord ça c’est normal) qui elles vivent sur la peau des univers et préfèrent quand ça se tire dans les pattes. Dans tout ça, vous rajoutez des dieux plus ou moins sympa (qui ont créé les univers), des seigneurs de guerre, des seigneurs des portes, des forceurs de portes, des humains plus ou moins doués, plus ou moins bouffés, plus ou moins alcoolisés, un peu de sexe, encore un peu d’alcool (faut bien pour supporter tout ça) et des courses poursuites, parce que ce qui fait vraiment le point commun de nos deux héros ou plutôt les deux points communs, c’est :

 1 d’apprendre qu’ils sont des fils de dieux ; on ne les avait pas prévenus, et en plus, on attend d’eux qu’ils sachent se servir de leur pouvoir (ouvrir des portes pour Anjel, forcer des portes pour Jack) (le premier qui demande pourquoi ils n’utilisent pas la poignée, je le force à lire tout Guillaume Musso en breton chanté!)

 2 d’être systématiquement poursuivi par des fous furieux et des bestioles en tout genre dont la seule ambition de leur cerveau monocellullaire est de les bouffer.


  Et oui! Lire Jacques Barbéri, c’est un peu comme ouvrir ses chakras, découvrir son troisième oeil, ou plus simplement comme une soirée bien arrosée, la gueule de bois en moins. Toutefois, le diptyque de la structure est sans doute la partie de l’oeuvre de Barbéri la plus accessible pour les débutants barbériens éventuels, plus facile que la trilogie Narcose car moins chargée en tout ce qui fait la marque Barbéri : personnages physiquement étranges, hallucinations complètement hallucinées pré ou post alcoolisation, univers imbriqués, confusion rêve/réalité (thématiques qui ne sont pas sans rappeler l’univers Philip. K. Dick). Le Crépuscule des Chimères et Cosmos Factory sont également très visuels ce qui permet une assimilation très rapide de ces mondes étranges et une mise en image propre assez évidente. La structure de leur histoire suit également une ligne scénaristique simple, efficace et sans trop de tergiversations. On rentre dedans et si on accroche ce monde, on ne le lâche plus.


  Cosmos Factory dans ses premières pages pose d’emblée l’information que ce roman fait appel à des références lovecraftiennes. C’est sans doute pour cela que c’est mon préféré des deux. Mais que cela ne vous rebute pas. Nul besoin de connaître l’oeuvre de Lovecraft sur le bout des doigts (ce n’est pas mon cas d’ailleurs) pour profiter de celle de Jacques Barbéri. Les principales références, tout le monde les connaît plus ou moins (les bêtes à bec et à tentacules, les anciens dieux, le necronomicon).


  Le Crépuscule et Cosmos se lisent indépendamment, dans l’ordre que vous souhaitez, même si je vous conseille l’ordre chronologique, Le Crépuscule et ensuite Cosmos, pour pouvoir profiter du retour d’Anjel dans Cosmos Factory. Mais vous pouvez parfaitement faire l’inverse, pour me contrarier (m’en fous même pas mal!) ou pour comprendre d’où vient ce personnage intrigant.


  Vous l’aurez compris, le Barbéri, on l’aime ou on le regarde de loin car on a un peu peur que ça vous bouffe le bras, ou le cortex cérébral. Mon cortex cérébral étant déjà bien arrangé, j’ai choisi mon camp.



  Et n’oubliez jamais, en d’autres termes souvenez-vous toujours, La Volte est là, La Volte vaincra, achetez La Volte, La Volte vous le rendra!


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