Seulement dans des livres, comme vous dites. Seulement! Les livres ne peuvent jamais être seulement ; ils peuvent seulement être toujours.
Jeff Noon

23 sept. 2013

A force de faire les choses, le hasard ferait mieux de rester chez lui.




   Eduardo est peintre. Il aurait pu être un très grand peintre mais il se contente désormais, lorsqu’il n’est pas complètement saoul ou abruti par ses antidépresseurs, de réaliser des portraits sur demande. Car Eduardo a fait 13 ans de prison pour avoir tué l’homme responsable de la mort de sa femme et de sa fille dans un accident de voiture.

  Lorsque sa galeriste lui transmet un nouveau contrat, il n’est d’abord pas très enthousiaste à l’idée d’accepter. En effet, une artiste connue lui demande de réaliser le portrait de l’homme qui a tué son fils dans un accident de voiture et qui vient d’être remis en liberté.

   Mais Eduardo sent se tisser un lien avec cette femme qui connaît la même souffrance que lui, sans savoir qu’il vient de prendre un chemin tortueux qui le mènera à croiser d’autres destins, d’autres souffrances à travers une trame hasardeuse qui les relie tous.


   Le nouveau roman de Victor Del Árbol était plutôt attendu. Du moins, par ceux qui avaient lu son premier, La Tristesse du Samouraï, et aussi par ceux qui n’ont pas lu celui-ci mais qui ont une amie l’ayant lu et ayant o combien rabâcher le fait que c’était «juste magnifique». Vous l’aurez peut-être compris, je me situe dans la deuxième catégorie. Du coup, n’ayant toujours pas lu La Tristesse du Samouraï (vous comprenez, des choses à faire, des gens à voir, d'autres romans à lire!), j’étais curieuse de voir ce que donnerait le nouveau.


   Et bien avant toute chose et encore une fois, il convient de préciser que : ami de la dépression, ce livre n’est peut-être pas fait pour toi. (D’ailleurs, puisqu’on en parle, ami de la dépression, peut-être que tu devrais arrêter de fréquenter ce blog car ici, dépressif ou pas, on aime souvent les textes sombres voire très sombres.)


   Bref!


  Le destin (!?! Non je déconne, c’est le hasard!) a voulu que, peu de temps après avoir fini ce roman, je vois une série télé (Touch) dont le concept repose sur l’idée que certaines personnes sont reliées entre elles par un fil invisible, une sorte de destin commun avec effet papillon. Et bien étrangement, c’est la base même du roman de Victor Del Árbol. La comparaison s’arrêtera là.


   Bien qu’il soit paru en Actes Sud noirs, La Maison des Chagrins n’est pas un roman policier mais plutôt un roman noir. Ne vous attendez donc pas à une quelconque enquête ou un quelconque effet de suspens, il n’y aura aucun des deux. 


  Et puisqu’on parle de Actes Sud, il faudrait qu’on m’explique comment on passe de ça :



à ce titre foireux La Maison des Chagrins. Parce que du chagrin, ok, mais de maison, que nenni! Mais bon, passons, les voies de l’édition sont souvent impénétrables!


   La Maison des Chagrins est un roman choral. Vous connaissez le principe : plein de personnages qui a priori ne se connaissent pas et qui finissent tôt ou tard par se croiser (et pas forcément dans la même maison, enfin je dis ça...). De ce point de vue là, le roman est idéalement conçu. Peut-être trop idéalement. Victor Del Árbol pousse tellement loin cet effet de construction, qu’on finit par se dire qu’effectivement, la vie possède un sens de l’humour assez particulier. 


  Les personnages sont variés avec une psychologie assez approfondie et pourtant ils sont tous construit de manière identique : chacun est une sorte de cabossé de la vie qui va découvrir peu à peu que la vérité n’est jamais que celle que l’on veut bien prendre comme telle; tous sont dévorés par un désir de vengeance et c’est cette volonté de vengeance qui finira par tous les relier et qui permettra à l’histoire de prendre toute son ampleur car au final, tous sont à la fois victime et bourreau. 


«N’avons-nous pas tous un monstre en nous? Qui attend le bon moment pour se débarrasser de cette fausse peau qui le dissimule.»


   Victor Del Árbol aborde ainsi la question de savoir jusqu’où peut-on pousser son désir de vengeance. Et lorsqu’il disparaît, laisse-t-il autre chose qu’un vide si profond que rien ne peut venir le combler?


«A quoi sert la douleur, si on ne peut la partager avec celui qui te l’inflige? Je ne suis pas là pour pardonner, Eduardo. J’ai besoin de comprendre, et j’ai besoin de haïr.»


   Victor Del Árbol déroule son histoire avec une écriture simple, sans envolée lyrique mais parsemée par-ci par-là de petites fulgurances. 


«Cette femme parlait par les yeux, et ses brefs battements de paupières étaient autant de points et de virgules.»


   Ainsi, on pourrait croire que j’ai adoré ce livre ou tout au moins beaucoup aimé. Et pourtant...Il s’avère que d’un point de vue «clinique», strictement professionnel («l’oeil du libraire»), j’arrive à voir, je sais même, que ce roman est bon, bien construit, bien écrit, bref, maîtrisé de bout en bout. Mais je dois dire que je n’ai été touchée par aucun personnage, aucun ne m’a émue, rien, pas une goutte d’empathie. Et quand on doit vraiment chercher longtemps pour trouver ce qu’on pourrait dire sur un roman, ce n’est généralement pas bon signe. Toutefois, il s’avère également que dernièrement, La Maison des Chagrins n’est pas le seul roman a avoir eu cet effet sur moi ou devrais-je dire à n’avoir eu aucun effet sur moi alors que tous les ingrédients étaient là pour que je puisse l’aimer. 


   Alors quoi? Et bien rien. Eh, oui, je vais juste lâchement vous laisser vous démerder avec ça! 


CITRIQ

2 sept. 2013

The eye of the chicken.




 Margarita : un paradis caribéen pour touristes européens. Edeltraud Kreutzer, originaire de Düsseldorf, se rend sur cette île pour comprendre les circonstances de la mort de son fils, Wolfgang, retrouvé noyé sur la plage où il tenait un bar. Perdue dans cet environnement radicalement étranger, elle fait appel à José Alberto Benítez, un avocat local qui va l'aider dans ses démarches. Leurs recherches mettront au jour une autre île, bien éloignée des hôtels all-inclusive : la Margarita de la jungle bureaucratique, des passe-droits en tout genre, mais aussi celle des combats de coqs qui ont tant fasciné Wolfgang..


  Avertissement préliminaire pour vous faire gagner beaucoup de temps : si vous êtes dépressif et que vous trouvez que la vie en générale et la vôtre en particulier manque singulièrement de sens de l’humour et d’à propos, ne lisez pas ce livre qui ne fera que vous confirmer que toutes les chansons vantant le mérite des pays ensoleillés et que soit disant l’herbe est plus verte au soleil ou autres conneries du genre, c’est du flan! Au soleil, l’herbe, elle grille.


  Si en revanche, vous êtes adeptes du voyage hors zones touristiques, si vous êtes du genre à chercher le contact du véritable autochtone, si vous aimez découvrir le vrai visage du pays visité et si pour vous les cartes postales font partie des légendes urbaines, alors ce livre est potentiellement fait pour vous.


  Tout ça pour vous dire que L’île invisible, c’est beau, mais c’est pas joyeux (en fait c’est Francisco Suniaga donc rien à voir avec Blanche Neige, aucun lien... je sais, elle est très mauvaise mais j’avais quand même envie de la faire!)


  Avec L’île invisible, les éditions Asphalte ajoute un titre à leur catalogue de romans à ambiance hyper réaliste. Souvenez-vous, c’était déjà le cas de La vie est un tango de Lorenzo Lunar, et tout comme La vie est un tango, L’île invisible ouvre l’emballage, le packaging spécial office du tourisme pour vous montrer ce qu’il y a au delà.


  Dans L’île invisible, c’est une mère en quête de réponses qui débarque sur Margarita et non une touriste en quête de soleil et autres activités commençant par la lettre s. A ce titre, le roman de Francisco Suniaga nous offre le très beau portrait d’une mère qui espère, qui veut pouvoir trouver une raison d’accepter la disparition de son fils. Et cette volonté inaltérable va se retrouver confrontée au choc des cultures. 


  Car sur l’île de Margarita, tout se passe à un rythme différent, un rythme qui lui est propre et auquel le nouvel arrivant doit s’adapter. En effet, ce qui paraît agréable et dépaysant à vivre pendant deux semaines de vacances, semble complètement différent voire perturbant à expérimenter au quotidien.


  L’île invisible possède ce même rythme dans sa lecture, tout en lenteur, en perception, en émotion et sensation (même la playlist, n’oubliez pas cette petite marque de fabrique des éditions Asphalte, est ainsi). Lire L’île invisible, c’est s’installer dedans comme on s’installe dans un hamac, bien calé au fond, un petit verre de rhum à portée de main, et se laisser envelopper, presque bercer par cette quasi langueur, oubliant la vie effrénée qui, elle, s’active tout autour. Par conséquent, les amateurs de romans cadencés ne s’y retrouveront certainement pas. 


  Le personnage de la mère aurait toutefois mérité d’être développé. Rapidement, c’est l’avocat qui devient le personnage principal et toute l’enquête (si l’on peut vraiment parler d’enquête) passe par lui. C’est un des points faibles du roman, il me semble, car l’avocat n’est pas le personnage le plus intéressant. D’ailleurs, les passages entre lui et un de ses amis tournant autour d’une discussion sans fin au sujet d’un rêve, sont les seuls moments à m’avoir un peu déroutée et limite ennuyée.


  Heureusement, survient le journal intime du fils et c’est ce qui m’a permis de ne pas décrocher. On y découvre son initiation aux combats de coqs et surtout la passion et l’addiction qu’ils vont provoquer chez lui.  Si ce monde peut paraître violent et/ou choquant aux yeux d’un européen, il peut aussi engendrer une sorte de fascination étrange. 


  Bilan mitigé donc pour la lecture de L’île invisible qui possède certes quelques défauts (une écriture parfois trop empesée...les fameux passages au sujet du rêve de l’avocat) mais qui nous fait aussi croiser des personnages touchants (le triangle de la mère, du fils et de la belle-fille) dans un milieu dépaysant. Ces moments-là compensent plus que largement les précédents et pour eux, L’île invisible mérite amplement la lecture.

Parution le 12 septembre.


CITRIQ