Seulement dans des livres, comme vous dites. Seulement! Les livres ne peuvent jamais être seulement ; ils peuvent seulement être toujours.
Jeff Noon

21 mai 2013

De la jungle et de ce qu'il nous en coûtera





  A l’heure où on annonce de nouvelles fermetures de librairie et où il est de bon ton d’accuser le numérique de tuer le livre papier, sort ce livre sur l’envers du décor (du moins une partie de l’envers du décor) de la multinationale Amazon.


  Le point de départ est des plus simple. La politique de confidentialité du groupe Amazon est telle qu’aucune visite de journaliste ne semble être autorisée dans aucun de ses entrepôts de logistique (entendons par là de vraies visites de journalistes libres de se déplacer, de prendre des photos et de parler aux salariés, et non des reportages bien calibrés par le propre service communication d’Amazon). La seule manière d’en voir l’intérieur, du coup, est de se faire embaucher. C’est ce qu’a fait le (jeune) journaliste Jean-Baptiste Malet lors du pic d’activité des fêtes de Noël 2012, du moins en tant qu’intérimaire car si vous lisez ce livre vous vous rendrez compte qu’il n’est pas si aisé de travailler en CDI chez Amazon.


   Disons le tout de suite : l’enquête menée par Jean-Baptiste Malet n’est pas aussi approfondie qu’elle aurait mérité de l’être mais elle constitue néanmoins une image absolument édifiante de cette multinationale et du modèle qu’elle est en train de mettre en place.


   Tout y passe, absolument tout : 

   de la méthode de recrutement par les agences d’intérim : le discours de la responsable du recrutement chez Adecco en devient presque comique tellement il est débilitant et ce surtout pour elle, avec des phrases à la con comme : «Amazon, c’est des américains, ils pensent aux salariés.» ou mieux  : «Pour Pâques, ils ont organisé une chasse aux oeufs sur le parking. Chaque salarié a reçu une cocotte en chocolat». C’est là qu’on se rend compte que 1 : le ridicule ne tue pas, et 2 : certains seraient vraiment prêts à vendre leur âme au diable pour avoir droit à une part du gâteau.


   aux conditions de travail absolument effarantes : c’est le système du toujours plus et d’avantage encore, sans oublier l’autocongratulation, l’encouragement à la délation et l’employé du mois. Chaque salarié est traqué dans l’entrepôt grâce à son merveilleux outil de travail, le scan, qui indique à chaque minute où il se trouve, ce qu’il fait et à quel rythme. Les temps de pause sont tellement ridicules que ça revient à dire «cours Forrest, avec un peu de chance t’auras le temps de passer aux toilettes». Et ma préférée : la fouille des salariés selon des critères apparemment pas vraiment aléatoires, par des vigiles qui te parlent bien, comme s’il fallait les remercier de ne pas frapper.


   en passant par le slogan «work hard, have fun, make history» qui d’ailleurs est bien plus qu’un simple slogan. Surtout le "have fun"! C’est un véritable outil pour Amazon pour empêcher le salarié de réfléchir. Si vous vous demandez comment on peut avoir du «fun» en étant lobotomisé, lisez ce livre! On se croirait revenu au Moyen-Age quand le seigneur des terres distribuait quelques gratifications selon son bon vouloir «tiens le gueux prends ces quelques piécettes et ces miettes de pain». Le rapport à la nourriture m’a particulièrement choquée parce qu’il revient plusieurs fois. «Ils organisent aussi le «Family Day», où tous les employés peuvent venir avec leurs enfants visiter l’entreprise...Ils avaient fait venir des structures gonflables, des trampolines, et ils ont offert de la nourriture à tout le monde.»


   Et vous m’emballerez tout ça dans une politique de confidentialité et de secret bien ficelée et surtout visiblement bien contraire au code du travail. Même la CIA en est jalouse.

                      
   Tout cela pour garantir «la satisfaction du client». Certains diront qu’Amazon n’est pas la seule entreprise à utiliser ces méthodes. C’est vrai et ce qui fait peur c’est que ce modèle risque d’être repris encore et encore. D’autres diront que c’est ainsi que va le monde et que pouvons-nous faire contre cela? D’abord je répondrais que si tout le monde avait dit cela en 40, aujourd’hui on parlerait tous allemand. Ensuite que ce qui me pose problème en plus du reste c’est que mes impôts servent à financer la construction de tels entrepôts (car oui Amazon touche des subventions de l’Etat pour cela alors qu’elle fait plus que des millions d’euros de bénéfices, et non Amazon ne paît pas ses impôts comme tout le monde visiblement), enfin que si c’est vraiment la satisfaction du client qui compte, en ce qui me concerne, pour garantir un petit confort personnel (car le tout, tout de suite n’est qu’un «petit» confort), je ne suis pas prête à accepter de payer ce prix là.

  Pour compléter cette lecture, vous pouvez consulter ce document pour mieux comprendre le système Amazon.

2 commentaires:

  1. Je sens que je vais ressortir ton article la prochaine fois qu'on me fera la morale quand je dis que je n'ai pas envie d'acheter sur Amazon (ni d'y laisser des critiques d'ailleurs)... Merci! ^_^

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