Seulement dans des livres, comme vous dites. Seulement! Les livres ne peuvent jamais être seulement ; ils peuvent seulement être toujours.
Jeff Noon

27 mai 2013

Qui trop éclaire, mal éteint.




  Harper Curtis n’est déjà pas un tendre de nature. Mais lorsque, poursuivi par la police, il trouve refuge dans une maison étrange, cela ne va pas l’arranger. Car cette maison a la capacité de le faire voyager dans le temps. Pris d’hallucinations, persuadé que la maison le guide, il va partir à la recherche de ses victimes, les lumineuses, et ce ne sera pas pour leur conter fleurette.


Elle a survécu.
Il pensait l’avoir tuée.
Elle veut se venger.
Il va la retrouver.


  De Lauren Beukes, on avait beaucoup entendu parler de Zoo City (Prix Arthur C. Clarke en 2011). Elle revient  avec Les Lumineuses, polar teinté de fantastique. Et le problème avec les seconds romans, c’est qu’on en attend toujours beaucoup.


  Les Lumineuses commence comme un thriller classique, se poursuit comme un thriller classique et finit... ... ... comme un thriller classique. C’est bien, je vois que vous suivez. Donc, vous prenez un tueur en série complètement frappé, une victime survivante et complètement obsédée à l’idée de retrouver son agresseur, et vous avez les deux ingrédients de base. Ajoutez à cela des flics un peu à côté de la plaque et des journalistes trop gentils qui heureusement sont là pour aider l’héroïne et vous avez tout ce qu’il faut pour que ça fonctionne. On pourrait s’arrêter à ce point de vue là et alors, Les Lumineuses ne serait qu’un polar à tueur en série de plus. On ne s’arrêtera donc pas là.


  La seule originalité du roman est apportée par l’idée de maison qui fait voyager dans le temps (Avouez Lauren que vous étiez jalouse du TARDIS!) et par le mode narratif choisi. Et oui, forcément, avec une idée de base comme celle-là, ça aurait été très con de raconter l’histoire de manière chronologique. C’est pourquoi, Lauren Beukes a choisi un ordre chronologico-shakerisé (j’adore inventer des mots). Est-ce que cela apporte réellement quelque chose à l’histoire? Sans doute pas mais c’est ce qui, au lieu d’en faire un polar de plus perdu dans la masse, en fait un polar prenant et agréable à lire de bout en bout.


  Lauren Beukes maîtrise parfaitement son sujet, peut-être un peu trop parfaitement. Un peu plus de... tiens mais un peu plus de quoi d’ailleurs? En fait, c’est ça, il manque d’un quelque chose pour en faire un polar qui sorte des sentiers battus, peut-être une histoire un peu plus travaillée, plus alambiquée ou plus, tout simplement. 


  Alors, vous l’avez compris, ce n’est certainement pas par ce roman-là que Lauren Beukes marquera les esprits, mais il faut reconnaître que Les Lumineuses reste un polar divertissant et efficace pour qui n’est pas rebuté par le côté tueur en série.


  Tant qu’elles y étaient, les éditions Presses de la Cité ont eu la bonne idée de rééditer Zoo City (anciennement chez Eclipse, maison d’édition tristement décédée mais dont une grosse partie du catalogue a été reprise par Panini). Il convient de signaler à ce propos, le travail réussi et soigné des  Presses de la Cité sur les couvertures des deux romans. Pour Zoo City, ils ont eu l’intelligence de garder celle de la première édition et de faire un format plus petit pour pouvoir proposer un prix en dessous des 20 euros (17 euros exactement). 


CITRIQ

21 mai 2013

De la jungle et de ce qu'il nous en coûtera





  A l’heure où on annonce de nouvelles fermetures de librairie et où il est de bon ton d’accuser le numérique de tuer le livre papier, sort ce livre sur l’envers du décor (du moins une partie de l’envers du décor) de la multinationale Amazon.


  Le point de départ est des plus simple. La politique de confidentialité du groupe Amazon est telle qu’aucune visite de journaliste ne semble être autorisée dans aucun de ses entrepôts de logistique (entendons par là de vraies visites de journalistes libres de se déplacer, de prendre des photos et de parler aux salariés, et non des reportages bien calibrés par le propre service communication d’Amazon). La seule manière d’en voir l’intérieur, du coup, est de se faire embaucher. C’est ce qu’a fait le (jeune) journaliste Jean-Baptiste Malet lors du pic d’activité des fêtes de Noël 2012, du moins en tant qu’intérimaire car si vous lisez ce livre vous vous rendrez compte qu’il n’est pas si aisé de travailler en CDI chez Amazon.


   Disons le tout de suite : l’enquête menée par Jean-Baptiste Malet n’est pas aussi approfondie qu’elle aurait mérité de l’être mais elle constitue néanmoins une image absolument édifiante de cette multinationale et du modèle qu’elle est en train de mettre en place.


   Tout y passe, absolument tout : 

   de la méthode de recrutement par les agences d’intérim : le discours de la responsable du recrutement chez Adecco en devient presque comique tellement il est débilitant et ce surtout pour elle, avec des phrases à la con comme : «Amazon, c’est des américains, ils pensent aux salariés.» ou mieux  : «Pour Pâques, ils ont organisé une chasse aux oeufs sur le parking. Chaque salarié a reçu une cocotte en chocolat». C’est là qu’on se rend compte que 1 : le ridicule ne tue pas, et 2 : certains seraient vraiment prêts à vendre leur âme au diable pour avoir droit à une part du gâteau.


   aux conditions de travail absolument effarantes : c’est le système du toujours plus et d’avantage encore, sans oublier l’autocongratulation, l’encouragement à la délation et l’employé du mois. Chaque salarié est traqué dans l’entrepôt grâce à son merveilleux outil de travail, le scan, qui indique à chaque minute où il se trouve, ce qu’il fait et à quel rythme. Les temps de pause sont tellement ridicules que ça revient à dire «cours Forrest, avec un peu de chance t’auras le temps de passer aux toilettes». Et ma préférée : la fouille des salariés selon des critères apparemment pas vraiment aléatoires, par des vigiles qui te parlent bien, comme s’il fallait les remercier de ne pas frapper.


   en passant par le slogan «work hard, have fun, make history» qui d’ailleurs est bien plus qu’un simple slogan. Surtout le "have fun"! C’est un véritable outil pour Amazon pour empêcher le salarié de réfléchir. Si vous vous demandez comment on peut avoir du «fun» en étant lobotomisé, lisez ce livre! On se croirait revenu au Moyen-Age quand le seigneur des terres distribuait quelques gratifications selon son bon vouloir «tiens le gueux prends ces quelques piécettes et ces miettes de pain». Le rapport à la nourriture m’a particulièrement choquée parce qu’il revient plusieurs fois. «Ils organisent aussi le «Family Day», où tous les employés peuvent venir avec leurs enfants visiter l’entreprise...Ils avaient fait venir des structures gonflables, des trampolines, et ils ont offert de la nourriture à tout le monde.»


   Et vous m’emballerez tout ça dans une politique de confidentialité et de secret bien ficelée et surtout visiblement bien contraire au code du travail. Même la CIA en est jalouse.

                      
   Tout cela pour garantir «la satisfaction du client». Certains diront qu’Amazon n’est pas la seule entreprise à utiliser ces méthodes. C’est vrai et ce qui fait peur c’est que ce modèle risque d’être repris encore et encore. D’autres diront que c’est ainsi que va le monde et que pouvons-nous faire contre cela? D’abord je répondrais que si tout le monde avait dit cela en 40, aujourd’hui on parlerait tous allemand. Ensuite que ce qui me pose problème en plus du reste c’est que mes impôts servent à financer la construction de tels entrepôts (car oui Amazon touche des subventions de l’Etat pour cela alors qu’elle fait plus que des millions d’euros de bénéfices, et non Amazon ne paît pas ses impôts comme tout le monde visiblement), enfin que si c’est vraiment la satisfaction du client qui compte, en ce qui me concerne, pour garantir un petit confort personnel (car le tout, tout de suite n’est qu’un «petit» confort), je ne suis pas prête à accepter de payer ce prix là.

  Pour compléter cette lecture, vous pouvez consulter ce document pour mieux comprendre le système Amazon.

13 mai 2013

VAA comme j'te pousse.


  Le Grand Prix de l’Imaginaire 2013 vient de tomber et on espère qu’il ne s’est pas fait trop mal même si le résultat n’est pas celui escompté. 


  Devant toute l’incompréhension inique dont fait preuve le monde envers notre sensibilité exacerbée (c’est vrai quoi! Kiki43 et moi-même n’auront peut-être bientôt plus de boulot! Ils auraient au moins pu faire ça pour nous remonter le moral!), nous, les Voltés Anonymes, avons décidé d’organiser notre propre remise de prix, le Volté Anonyme Award bientôt connu de par le monde, nous n’en doutons pas, sous l’acronyme VAA là, là (ou VAA t’en que j’m’y mette).


  Sans plus attendre, voici la liste des nominés :

Romans francophones :

Elliot du Néant, de David Calvo aux éditions La Volte
Pourquoi Dieu et pas Douglas Adams, d’un auteur Anonyme et on comprend pourquoi
Le Néant d’Elliot, de Cavid Dalvo (mais un soupçon de plagiat plane sur ce titre)


Romans étrangers :

Enig Marcheur, de Russell Hoban aux éditions  Monsieur Toussaint Louverture
How to  identify a masterpiece when i’ve got one under my eyes!!!! de Nooneloveme


  Après délibérations d’environ...30 secondes, les lauréats sont :


Roman francophone :

Elliot du Néant, de David Calvo




Roman étranger :

Enig Marcheur, de Russell Hoban



  Parce ce sont deux P***INS DE CHEFS-D’OEUVRE!!!!!!!! 


  Prix spécial "c'est-trop-fort-comme-tu-parles-trop-bien-le-pas-français" de la traduction :

Nicolas Richard pour son ENORMISSIME traduction de Enig Marcheur.



  Voilà! Et comme disait Forrest, c’est tout ce que nous avons à dire à ce sujet.

10 mai 2013

On a tous besoin d'un prisonnier chez soi.





   Demain, les prisons seront privatisées. Demain, pour pouvoir finir vos fins de mois, vous serez obligés d’accueillir dans votre cave ou votre appentis, une cellule et son prisonnier. Un peu comme une chambre d’amis, mais sans amis dedans. Vous le ferez peut-être pour l’argent ou peut-être pire, pour le plaisir. 

   Tout cela sous l’égide d’une société toute puissante de téléphonie mobile, Phonemark, qui contrôlera et surveillera votre consommation car pour avoir le droit de rester dans le système, vous serez tenu à un quota minimum de sms.

   Demain, c’est Côté cour. Demain, c’est toujours un peu aujourd’hui.


   Pour ceux qui connaissent un peu les éditions Asphalte, et bien d’abord, ça veut dire que vous êtes curieux et donc forcément intéressant puisque quand on s’intéresse à quelque chose d’intéressant, on finit par l’être, intéressant, non? D’accord, passons.


   Ensuite, ça signifie que Leandro Avalos Blacha ne vous est peut-être pas totalement inconnu puisque déjà l’auteur de Berazachussetts, roman visiblement déjanté où l’on pouvait croiser zombies, fauteuils roulants et pingouins. Pour ma part, j’étais passée à côté de cette première publication mais ce qui est certain, c’est qu’après lecture de Côté cour, j’ai très envie de me pencher sur son cas. 


   Enfin, ça signifie que...euh... non, il n’y a pas de enfin. 


   Côté cour, c’est 5 histoires courtes reliées entre elles par le lieu et par les personnages qui la traversent, comme 5 morceaux d’un puzzle qui une fois assemblé, donne l’histoire d’un quartier. Leandro Avalos Blacha ne nous dépeint pas une galerie de personnages mais les traits de caractère d’une humanité poussée dans ses retranchements, dans ce qu’elle peut dévoiler de pire. Histoire d’amour manipulé, combats de détenus contre des animaux de toutes sortes, expérience scientifique étrange, aucun personnage ne semble être à la hauteur de son humanité à l’exception de certaines grand-mères, seules voix de discordance et parfois de résistance, si tant est que l’on puisse parler de résistance car l’acceptation de ce monde proche en esprit du 1984 de Orwell ne semble jamais être remise en cause.  Comme d’habitude, les gens sont plus prompts à se marcher dessus qu’à avancer ensemble.


   La maîtrise de ce roman repose autant sur ces personnages que sur l’écriture de Blacha, car littérairement parlant, c’est proche de la perfection. D’une brutale précision, le style est percutant, rythmé, sans aucune fioriture et chaque phrase touche directement au but. En quelques mots, le décor est planté. La petite touche de fantastique vient finir d’apporter la dose d’étrangeté qui poétise le tout. Et pour vous emballer tout ça, n’oubliez pas la petite marque de fabrique des éditions Asphalte : la bande son en rabat de la quatrième de couv’ et que vous pouvez écouter sur le blog de la maison d’édition, ICI.


   D’un texte si court (153 pages), il est difficile d’en parler plus sans trop en dévoiler. Je n'en dirai donc pas d'avantage si ce n’est deux choses certaines : la littérature argentine a de beaux jours devant elle et les éditions Asphalte m’intriguent chaque jour d’avantage et si ça continue comme ça, on n’est pas à l’abri de bientôt lire en haut de ce blog, les Voltés Anonymes amoureux de l’Asphalte.



CITRIQ