Seulement dans des livres, comme vous dites. Seulement! Les livres ne peuvent jamais être seulement ; ils peuvent seulement être toujours.
Jeff Noon

18 mars 2013

J’ai connu une polonaise qui en lisait au p’tit déjeuner!


«Ça sera lent. Presque indolore, il a poursuivi. Progressif. Je serai une absence, d’abord, une nostalgie. Puis des souvenirs, une idée. Quelques images. Ne t’inquiète pas : tout ce que je devais être, je l’ai déjà été. Tu ne seras plus surpris par moi. Tu ne sera jamais déçu.» Goudron mouillé, prière dérisoire.



  Léo Henry, est-il nécessaire de le dire, est un auteur plutôt éclectique (ce qui ne veut pas dire qu’il a des actions chez edf quoique chacun fasse ce qu’il veut de sa vie privée). Avec ce nouveau recueil de nouvelles, anthologie d’oeuvres passées et de réalisations présentes,  il prouve encore une fois son habileté à partir dans tous les sens mais toujours avec ce côté fantasmatique. Rappelons pour mémoire que Léo Henry était déjà responsable à La Volte du délire romanesque complètement déjanté qu’est Rouge Gueule De Bois. Pour ma part, j’avais adoré. D’ailleurs à l’époque nous n’avions pas encore la pastille triple J, jubilatoire juste jénialissime. Il convient donc de rectifier le tir et de lui attribuer aujourd’hui. Voilà chose faite.


  Pour ceux qui connaissent déjà Léo Henry, ils retrouveront dans Le Diable est au piano des thèmes récurrents chez l’auteur : l’alcool, les personnages déglingués, les situations qui virent au n’importe quoi mais aussi la capacité de notre esprit à s’évader par l’imaginaire hallucinatoire.


 Certaines nouvelles se rapprochent de l’esprit de RGDB pour le côté déjanté et parfois alcoolisé comme Révélations du prince de feu qui pose Corto Maltese et Blaise Cendrars dans un Brésil étouffant, poursuivis par un tueur psychopathe. Ce duo ne peut que nous rappeler celui de Fredric Brown et Roger Vadim, et pour ceux qui n’ont pas lu RGDB, c’est une excellente nouvelle pour se mettre en jambe ou pour ouvrir l’apéro.


  Indiana Jones et la phalange du troisième secret n’est pas piquée des vers non plus avec un Indiana Jones étonnant et toujours aussi amoureux de son chapeau, qui croisera Orwell et Capa.


  Dans la série des hommages et clins d’oeil que j’ai vraiment aimé, il y a celui à James Bond dans Kiss kiss, bang bang, belle métaphore sur l’immortalité de l’agent le moins secret de l’histoire de l’espionnage ; et ceux à Saint Exupéry dans Je suis de mon enfance comme d’un pays et Kafka dans Fragments retrouvé dans une poubelle


  Pour le reste, il faut reconnaître qu’il y a quelque chose d’hypnotique dans l’écriture de Léo Henry. Il ne s’agit donc plus de savoir si on va aimer mais si l’hypnose va fonctionner. Lorsque c’est le cas, ces nouvelles là  m’ont marquée sans pouvoir définir pourquoi (L’invention de Guthmann, Nataraja, 78 pin up). Lorsque l’hypnose n’a pas fonctionné, elles m’ont paru hermétiques. C’est beau, bien écrit mais je n’ai pas compris où il voulait nous emmener (Quand j’ai voulu ôter le masque, il collait à mon visage, Festin de pierre). Car Léo Henry a cela d’indéniable, une véritable plume, une écriture imagée, souvent drôle, parfois plus maîtrisée que d’autres.


  Ainsi, certaines nouvelles du Diable est au piano sont de véritables pépites telles Les trois livres qu’Absalon Nathan n’écrira jamais, pur petit bijou autour de la création littéraire, Grand Prix de l’Imaginaire ; et puis, Goudron mouillé, prière dérisoire qui m’a particulièrement touchée.  Hommage à Jacques Mucchielli avec qui Léo Henry avait créé la série de nouvelles autour de Yirminadingrad, c’est une sorte d’au revoir. Quiconque a perdu un proche peut s’y retrouver et surtout retrouver la difficulté que l’on a à accepter, mais l’indispensable nécessité de savoir laisser partir les morts. Goudron mouillé laisse une émotion évanescente et une question se pose : pourquoi n’est-ce pas par elle que se conclut le recueil?


  Parce que là, je dois dire qu’enchaîner avec Laisse couler bonhomme, nouvelle dans le style déjanté et alcoolique mais pour le coup la seule que je trouve complètement ratée, est à mon avis la seule faute de goût du recueil. (Mais peut-être est-ce justement parce que Laisse couler suit Goudron mouillé que je l’ai trouvé ratée?)


  En conclusion, Le diable est au piano est un recueil inégal, certes, mais majoritairement bon voire excellent. Il ne constitue sans doute pas la meilleure manière d’entrer dans l’oeuvre de Léo Henry, en tout cas pas la plus facile, mais après tout, sans audace la littérature n’est rien.


  Enfin, saluons le travail toujours aussi bluffant de Stéphane Perger pour cette couverture juste magnifique et pour les quelques illustrations de Supplément au bibliophage dont l’une a servie pour le marque-ta-page, qui une fois de plus font du roman de Léo Henry un très bel objet-livre.




  En vertu de quoi, plus que de raison car le coeur a ses raisons que mon voisin ignore, n’oubliez jamais, contre vents et tempêtes de neige, achetez La Volte, La Volte vous le rendra!



CITRIQ

12 mars 2013

En février, fais ce que tu peux et en mars, fais comme si c’était février.


  Oui, je l’admets : mes titres sont de plus en plus foireux mais j’assume! Donc... attention, roulements de tambour...Je suis Février de Shane Jones. Le mieux aurait été d’en parler en février, je vous l’accorde mais j’ai passé un mois de février merdique (bon, le mois de mars ne s’annonce pas franchement meilleur!) et ajoutez à cela que j’ai un esprit de contradiction très développé!




  Dans une ville sans nom et à une époque imprécise, l’hiver ne semble pas vouloir finir. Le soleil n’apparaît plus, la neige tombe continuellement et les habitants souffrent d’une profonde tristesse. Février serait responsable de cette dérive qui tourne au cauchemar quand les enfants commencent à disparaître, que l’air ne soutient plus les ailes, ni des engins, ni des oiseaux et que les prêtres clouent de mystérieux parchemins à travers la ville. Le groupe des Masques d’oiseaux décide alors de se rebeller et déclare la guerre à Février. Une guerre sans armes, pleine d’astuces et de psychologie.


 Cool non?! On imagine trop bien cette quatrième lue par une belle voix de basse, style Féodor Atkine (vous savez la voix de docteur House et de Elrond!).


  Une ville sans nom, une époque imprécise, il n’en fallait pas plus pour attirer mon attention sur ce livre, que dis-je, ce petit bijoux. Bijoux car l’objet est beau. Le livre même est enserré dans son petit écrin cartonné avec une jolie couverture et une quatrième qui donne envie. La crainte était donc que le texte ne soit pas à la hauteur de l’emballage. Et bien rassurez-vous, il n’en est rien. Vous n’avez donc aucune excuse.


  Dans cette ville sans nom, en plus de voir l’hiver durer plus que de raison, des enfants disparaissent et l’esprit de révolte de certains habitants se réveille. Lorsque sa fille disparaît à son tour, Thaddeus devient par la force des choses le chef spirituel de la révolte contre Février, une révolte aux accents tantôt ubuesques (se promener dans la ville vêtu comme en été pour tromper Février) tantôt plus agressifs (lâché de boules de feu pour faire fondre la neige). Je ne vous en dis guère plus que la quatrième et c’est voulu car sinon je risquerai de trop vous gâcher les surprises qui surviennent à chaque page. Alors surprises pas au sens suspense du mot mais plutôt étonnement. Car si l’on devait définir Je suis Février, ce serait sûrement comme ça : étonnant (et beau, ça je l’ai déjà dit... et poétique, ça je vais le dire dans pas longtemps!)


  Shane Jones nous offre un petit conte autour de l’hiver, mais pas un conte enfantin. Il possède indéniablement une touche de noirceur latente comme la description de la douleur d’un père à la disparition de son enfant ou encore certaines métaphores notamment celle sur la mort. 


  Malgré cette noirceur, Je suis Février ne perd jamais de sa poésie de part son mode narratif changeant, ses métaphores justement et son histoire émouvante et rocambolesque tout simplement. Shane Jones joue même sur la typographie allant jusqu’à réduire les caractères lorsque le personnage murmure. Je suis Février est donc fait d’imaginaire pur et dur. Alors, non ces choses ne se produisent pas dans la «Vraie Vie» (et parfois on se dit que c’est bien dommage!). Par conséquent si vous faites parti de ces gens capables de dire: «pfff ça existe pas ça!», bref si vous ne savez pas ouvrir vos chakras, votre troisième oeil, votre esprit, si vous n’avez jamais passé du temps allongé dans l’herbe à deviner la forme des nuages et leur inventer une histoire, passez votre chemin. Ou bien soyez audacieux, lisez Je suis Février et rejoignez-nous du côté «Mary Poppins» de la force!


  Noir et poétique, Je suis Février est donc un petit plaisir à ne surtout pas bouder pour ceux qui aiment la petite magie des contes. A lire en toutes saisons.


CITRIQ

5 mars 2013

Matin, midi, soir . . . et le reste du temps 4


  C'est Dead Hippies et Dead Hippies c'est Arnaud Fournier (entre autres d'après ce que j'ai compris) et Arnaud Fournier c'est Hint et Hint c'est La Cité Nymphale et La Cité Nymphale c'est Stéphane Beauverger et Stéphane Beauverger c'est... ... La Volte!


  Quand je vous dis que La Volte nous ouvre au monde!!! Parce que moi qui suis une bille en matière de musique, sans La Volte, je serai passée à côté de cette petite chose géniale!! Alors autant j'avais eu un peu de mal avec Hint, autant là j'ai l'impression queIl était une fois dans l'ouest a rencontré Philip K. Dick!

  

  

Et le petit teaser qui va réveiller mémé :


3 mars 2013

Les moutons lorsqu'ils sont électriques, se font toujours remarquer.





  Dans une Chine encore divisée en trois royaumes, où la magie des dieux et des démons prédomine, Xiao Chen, le fils du potier, est frappé par une malédiction. Pour aider son père obsédé à l’idée de modeler la poterie parfaite, il viole le domaine du dieu du Hengsan et se retrouve affublé d’une tête de tigre. Rejeté par son village, il sera recueilli par une troupe de comédiens où il croisera Brume, la fille-fée. Devenu immortel par la grâce d’un coeur de porcelaine, il traversera plus de douze siècles et rencontrera Li Mei, la tisseuse tandis que Brume patiente, sans rien oublier...


  Vous en avez marre de la fantasy répétitive genre «j’ai une grosse épée, on a tué mes parents/mon frère/ma soeur/ma femme/mon enfant/mon hamster/un quelconque membre de mon entourage proche et je compte bien me venger tout en emballant la princesse, en apprenant la magie, en domptant une quelconque bête étrange, tout cela en sauvant le monde bien évidemment? (Avec tout ça on s’étonne qu’il n’y ait pas plus de suicide chez les super-héros!) 


  Et bien voici un texte sur lequel vous pouvez jeter vos petits yeux affamés. Car dans le paysage actuel de la littérature dite de fantasy, Porcelaine, légende du tigre et de la tisseuse sort nettement du lot et ça fait plaisir.


  D’abord, Porcelaine est le genre de roman qui vous prend tout de suite dans ses filets. Contrairement à nombre de romans de fantasy qui passent une bonne partie de leur introduction à nous expliquer, parfois trèèèès longuement, un monde et son fonctionnement, tellement longuement qu’on a l’impression de lire un mémoire de fin d’année de géopolitique, Porcelaine, lui, démarre directement et vous retient prisonnier jusqu’à la dernière ligne qu’on voit arriver (toujours?) trop vite.


  Avec un style limpide et relativement épurée, Estelle Faye mêle habilement le roman d’aventure au conte asiatique et restitue avec perfection le milieu fascinant du théâtre et du cirque qui s’entremêlent. Elle nous offre ainsi un véritable voyage au sein d’une troupe itinérante de comédiens et autres saltimbanques (voire de quelques freaks), dans une Chine où le quotidien côtoie magie et mythologie, démons et dieux. Les personnages sont entraînés d’aventures en aventures (comme dirait l’autre), sans temps morts avec tout ce dont vous aurez besoin pour vous évader : des combats à l’épée, de beaux paysages, des costumes et des maquillages, des pièges à éviter, de l’amour mais aussi de l’amitié mis à l’épreuve du temps qui passe, de l’oubli, de la vengeance, de la loyauté. Que des thèmes déjà connus et maintes fois utilisés, certes, mais voilà : Estelle Faye nous prouve qu’on peut utiliser les mêmes ingrédients que tout le monde et pourtant en sortir quelque chose de différent et même d'excellent.


  Tout comme Le Prophète et le Vizir, nul besoin d’être amateur(-trice) de fantasy pour se laisser tenter par Porcelaine et tout comme Le Prophète et le Vizir, Porcelaine est ce que j’aime appeler un livre «à voyager», non pas parce que vous pouvez aisément le glisser dans votre valise (quoique si vous vouliez bien faire un effort aussi!) mais parce que où que vous soyez, ce sont eux qui vous emmènent ailleurs.


  Son seul défaut, si on devait en trouver un (et encore est-ce bien un défaut?) c’est une fin que j’aurais aimé un tout petit peu plus sombre. Le personnage de Xiao Chen possède une part sombre qui aurait mérité d’être approfondie.


  En plus d’être passionnant à lire, Porcelaine est également un objet beau à voir et agréable à manipuler. Tout cela pour 19,90 euros. Certains éditeurs feraient bien de prendre des leçons de rapport qualité/quantité/prix. 


  Pour les accros du numérique, je tiens à signaler que le texte est disponible au format epub sur le site de l’éditeur pour la modique somme de 6 euros. Si je le signale, c’est en raison du prix que je trouve pour une fois parfaitement raisonnable et justifié pour du numérique. Et si un éditeur comme Les Moutons  Electriques y parvient, certains «gros» éditeurs feraient bien de prendre une leçon, une double leçon donc.


  Et pendant ce temps là, à Veracruz... tout le monde lit Porcelaine et garde un oeil averti sur Estelle Faye et son devenir.


CITRIQ